Michel Heyraud partage avec nous les documents relatant l’histoire du pont sur la Cance entre Quintenas et Vernosc.
Le pont du Moulin-sur-Cance a été dans toutes les conversations des habitants du Nord-Ardèche ces dernières années ! Une restauration audacieuse et minutieuse lui a restitué son allure d’origine. Reconstruit à l’identique avec les techniques et les matériaux d’époque, le pont nous conduit aujourd’hui sur l’autre rive en toute sécurité. Mais quelle aventure que la construction de ce pont, et quel défi que sa remise en état !
Un premier pont sur la Cance
1826
Le premier document évoquant un pont sur le site du Moulin-sur-Cance date de 1826. Il s’agit d’une lettre de Jean-Marie Vercasson adressée à la mairie de Vernosc. Celui-ci signale qu’il a construit un pont en bois sur la Cance pour le service de ses propriétés sur la rive gauche.
Il est propriétaire du site, peut-être depuis la vente des biens du prieuré en 1790, et ses acquisitions se trouvant sur les deux rives il a construit un pont pour passer d’un côté à l’autre de la rivière. Les communes de Quintenas et de Vernosc n’ayant aucune communication directe, il offre de livrer son pont au public moyennant l’entretien du pont et des chemins qui permettent d’y accéder. Il offre aussi le produit de ses moulins aux sœurs de St Joseph pendant un an.
Ce document laisse entendre qu’il n’y avait pas de pont permettant le passage d’une charrette. Il s’agit donc du premier pont permettant de franchir la Cance en aval d’Annonay. Celui de Tourtel ne sera construit qu’en 1885 sans doute pour faciliter l’accès au moulin de Tourtel qui se faisait en barque pour les communes de la rive droite.
» Lire la lettre de Jean-Marie Vercasson dans la page Moulin de Quintenas
1849
Jean de Romanet de Pierre-Grosse a le projet d’établir une route le long de la Cance à partir d’Annonay. Pour cela il envisage de suivre la Cance sur la rive gauche jusqu’au moulin puis de franchir la rivière et de rejoindre la vallée du Rhône en passant par Ardoix et Revirand. Il sollicite Jean-Marie Vercasson pour reconstruire le pont, pouvoir établir un cantonnier et disposer de l’emprise de sa route.
Le croquis ci-contre montre ce que devait être ce pont.
Nous ne savons pas pourquoi ce projet ne s’est pas réalisé, ni ce qu’il est advenu du pont en bois…
1860
Par contre nous savons que vers 1860 la famille Gleizal, qui possède déjà une usine à Vanosc, implante une usine sur le site du moulin de Quintenas et qu’un pont est nécessaire lorsque de nouveaux bâtiments sont construits sur la rive gauche.
Un pont suivant la technique de Marc Seguin
Bien que récent nous ne disposons que de peu d’informations sur la construction du nouveau pont. Seules les archives de l’usine de moulinage, si elles existent encore, pourraient peut-être nous renseigner.
1863
Une délibération du 22 novembre 1863 nous apprend que le sieur Léorat, propriétaire du moulin de Quintenas, demande une aide aux deux communes de Vernosc et Quintenas pour construire un pont.
» Lire la délibération du Conseil Municipal de Quintenas dans la page Moulin de Quintenas
Le pont qui doit être construit est-il en remplacement du pont de bois encore en place ? Celui-ci a-t-il été détruit par une crue ou par le feu ? La délibération étant du 22 novembre 1863 le nouveau pont est sans doute construit en 1864.
1864
Il est édifié selon la technique mise au point par le célèbre inventeur annonéen Marc Seguin (1786-1875) : le pont suspendu à faisceaux de fils de fer. Cette technique est le résultat d’une recherche scientifique à la pointe de la connaissance en résistance des matériaux. Elle supplante rapidement toutes les autres techniques de pont suspendu.
Le pont du Moulin-sur-Cance est composé de massifs de maçonnerie, plus anciens, où sont ancrés les éléments du pont et d’un tablier en chêne. La particularité du câblage est d’être constitué de fils parallèles en fer doux retenus par des suspentes réalisées selon le même principe.
Le déclin
Après deux incendies en 1895 et en 1909 les bâtiments industriels de la rive droite sont abandonnés et l’activité est reportée entièrement sur la rive gauche de la Cance. Le pont lui-même brûle en 1950.
Dès les années 1960, le site est progressivement abandonné par son propriétaire, la société TSR, et aucune attention n’est portée au pont dont on ne perçoit pas l’utilité. Petit à petit il devient dangereux, puis impraticable. Les promenades au Moulin-sur-Cance se font depuis Quintenas ou depuis Annonay et Vernosc, mais elles s’arrêtent à la rivière.
Le classement Monument Historique
L’ implication personnelle de Michel Faure, maire de Vernosc-lès-Annonay de 1965 à 1983, est essentielle dans la démarche de classement. L’intérêt du pont est bien compris par les architectes des Monuments Historiques. Il est l’unique exemplaire restant de la technique originale de Marc Seguin, de plus il est situé à moins de 5 kms de sa patrie, Annonay. Ils préconisent sa rénovation car l’étude de la technique de construction permettrait de remettre à jour le savoir-faire des années 1860 et apporterait un attrait scientifique au territoire.
En 1973, l’avis favorable de l’Architecte en Chef est encourageant. Cependant, sans nier l’intérêt historique de l’édifice pour le Vivarais, les doutes sont nombreux comme le montre le dossier de classement retrouvé par Michel Heyraud. Il faut attendre le 26 mai 1975 pour que la Commission Supérieure des Monuments Historiques estime que la conservation du pont doit être assurée.
Le classement Monument Historique du pont suspendu construit par Marc Seguin est entériné le 6 avril 1981.
La restauration
Depuis la destruction du pont sur le Rhône entre Tournon et Tain-L’Hermitage, construit par Marc Seguin en 1825, le pont du Moulin-sur-Cance est le seul exemplaire de la technique originale mise au point par l’inventeur annonéen.
C’est tout un faisceau d’énergies qui se mobilisent pour procéder à la restauration du pont : les communes de Quintenas et de Vernosc-lès-Annonay, la Communauté de communes du Bassin d’Annonay, le Conseil Général de l’Ardèche, la Région Rhône-Alpes, le Ministère de la Culture et la Fondation du Patrimoine. À l’intervention de ces structures institutionnelles, s’ajoutent le rôle central joué par le Syndicat des Trois Rivières et l’implication de l’Association Au fil du Pont.
La restauration du pont est décidée à l’identique : les matériaux d’époque, les techniques du milieu du XIXe siècle seront scrupuleusement respectés. En outre elle est inscrite dans un grand projet de préservation et de mise en valeur de la Cance visant à en faire un pôle touristique, sportif, culturel, incontournable en Haut-Vivarais.
Les travaux vont durer plus d’un an avec des entreprises spécialisées dont les ouvriers vivent une aventure unique. Le nouveau pont est inauguré le 7 novembre 2013.
Le pont aujourd’hui
À présent, le pont du Moulin-sur-Cance voit passer chaque jour des promeneurs, des VTT, des chevaux. Ils l’empruntent en toute sécurité pour profiter pleinement des sentiers de randonnée balisés car le pont permet de poursuivre sur l’autre rive de la Cance.
Pour en savoir plus sur le pont, consultez les sites de l’association Au fil du pont et du Syndicat des 3 rivières.
À découvrir également : deux DVD, « Au fil du pont » et « Un pont de fils, de bois et de pierres », qui retracent l’histoire du lieu et l’aventure de la restauration. Vous pouvez voir ce documentaire sur YouTube.