La destruction du château
Les habitants de Quintenas ont vécu une période particulièrement difficile pendant tout le XVIème siècle, les guerres de religion ayant ravagé notre région. Le village a subi razzias, pressions, tueries et destructions.
C’est en 1574 que le château de Quintenas a été brûlé par les protestants. La famille de Tournon avait, peu de temps auparavant, cédé le prieuré dont le château faisait partie à l’archevêque de Vienne.
Pris et repris, occupé successivement par les deux partis catholique et protestant, de grands noms de l’histoire ont lutté pour le conquérir et le conserver. Les récits des acteurs de l’époque vous donneront une idée de son importance stratégique et symbolique et des malheurs des Quintenassiens.
Notre pauvre village a perdu son beau château, “au grand déplaisir de la comtesse de Tournon qui, pendant l’été, faisait ses délices de cette magnifique résidence”. Il ne nous reste aujourd’hui que son lointain souvenir, enfoui sous les maisons toutes proches au sud de l’église.
Quelle époque !
Les protagonistes
Le récit
De la trêve de L’Hotoire à la destruction du château de Quintenas (1573-1575)
Extrait de :
Pièces fugitives, pour servir à l’histoire de France : avec des notes historiques & géographiques, Volume 2
Par les historiens Léon Menard (1706-1767) et Charles de Baschi, marquis d’Aubais (1686-1777) — Chaubert, 1759
On notera dans cet extrait les termes mêmes des Mémoires d’Achille Gamon, avocat d’Annonay en Vivarais (1552-1586)
Environ Noël de l’an 1572. Henri de Montmorenci, seigneur de Dampville, maréchal de France, vint en Languedoc, avec la commission de lieutenant général pour le roi dans cette province, & celles du Lyonnais, Dauphiné, & Provence ; en passant à Vienne, il donna le commandement de la ville & baronnie d’Annonai à Nicolas du Peloux, seigneur de Gourdan & de la Mote, chevalier de l’ordre du roi. Ce commandant fit publier la commission du duc de Montmorenci en Janvier 1573 qui portait l’assurance de la liberté de conscience en faveur des religionnaires, pourvu qu’ils fussent tranquilles & fournis aux ordres du roi, à la réserve de ceux qui avaient commandé dans l’armée contre les catholiques. Ledit du Peloux déclara ensuite de bouche aux habitants d’Annonai, que l’intention du roi était qu’il n’y eût qu’une religion en France, & que tous ses sujets allassent à la messe ; & après avoir fait lire les instructions & les ordres du roi à tous les gouverneurs sur cela, il commanda aux curés de tenir un registre de tous ceux qui iraient à la messe, & voudraient faire profession de la religion catholique et Romaine, & exhorta les habitants de se conformer aux ordres de sa majesté.
La mémoire récente des châtiments passés fit que le dimanche suivant, la plupart des protestants d’Annonai, & à leur exemple, ceux des villes & villages voisins, assistèrent à la messe.
Du Peloux ayant mérité par sa sage & prudente conduite le commandement du haut Vivarais, se comporta avec tant de douceur & de modération dans son gouvernement, qu’il contint tout le pays dans la paix et dans la soumission ; mais sur l’avis qu’il eut qu’à l’occasion du massacre de la S. Barthelemi, les religionnaires d’Aubenas & de Privas avaient pris les armes, & qu’ils s’étaient emparés de nouveau de la ville de Dezaignes, aussi bien que du château de Bozas, il fit réparer les brèches des portes d’Annonai, & fortifier le château ; il mit quelques troupes au dépens du pays dans le château de Quintenas, & envoya son frère Charles du Peloux, sieur des Colaux, pour commander dans la ville de Chalencon : celui-ci y fut bientôt après assiégé par les religionnaire, qui se jetèrent & se retranchèrent dans le faux-bourg ; mais du Peloux ayant rassemblé quelques troupes, auxquelles plusieurs catholiques d’Annonai se joignirent, il attaqua le renfort qui venait secourir les assiégeants, & l’obligea de se retirer avec perte et confusion.
Parmi ceux qui avaient pris les armes pour la religion, il y eut un jeune homme nommé Erard, du pays de Vernoux, qui ayant quitté la bazoche de Nîmes, se mit à la tête de 80 hommes de son génie & de sa façon, avec lesquels, sous un guide d’Annonai qui connaissait le pays, il se jeta dans les tours du seigneur de Munas près d’Ardoix & d’Oriol, qu’il fit réparer ; de là pour faire subsister la troupe, il faisait des courses sur les villages voisins, qu’il chargeait d’exactions & de contributions, du Peloux l’ayant assiégé inutilement dans les tours de Munas et d’Oriol.
Au mois de Novembre 1573 suivant, les capitaines Roy et Tremolet, avec leurs troupes, se jetèrent dans les maisons de Munas & Manoa, qu’ils pillèrent, & ils emportèrent tout ce que les villages voisins y avaient mis, comme dans un lieu de sûreté.
Le mois suivant fut remarquable par la trêve qui fut traitée et conclue à Lotoire, paroisse de Quintenas, entre François de Barjac[1], seigneur de Pierregourde, commandant dans le Vivarais pour les religionnaires, & du Peloux. Selon cette trêve, il fut dit que les garnisons des tours d’Oriol & desdites maisons de Munas, Manoa & Lotoire, se retireraient ; que Boffres serait ouvert, & que Quintenas et quelques autres châteaux seraient rendus à leurs maîtres ; & que moyennant cela, les religionnaires abandonneraient tous les forts du Vivarais, à la réserve de Dezaignes, & ne feraient pas la guerre dans le Vivarais. Ce traité fut conclu à Brogieu, paroisse de Roiffieu, audit mois de décembre 1573 suivant lequel les tours d’Oriol furent abandonnées, & ensuite abattues. Quintenas, Lotoire, Manoa & Munas furent rendus à leurs maîtres ; Boffres fut abandonné, Chalancon fut épargné, & ne fut pas démantelé, à la prière de la dame de Tournon, Claude de la Tour de Turenne & de Hautvillars.
La guerre terminée dans le Vivarais, commença en Velai, où Pierregourde fit venir ses troupes au mois de Janvier 1574. Erard s’y rendit aussi avec les siennes, & se jeta dans la ville de Tence, qui avait été démantelée, & la fortifia ; il y fut ensuite assiégé, battu et fait prisonnier, & relâché. On raconte du susdit Erard, que curieux de savoir combien de temps pouvait vivre un homme sans aucune nourriture, il laissa mourir de faim plusieurs prisonniers, & que l’un d’eux vécut jusqu’au neuvième jour. Les religionnaires furent chassés des maisons ou forts dont ils s’étaient saisis, par S. Vidal, l’évêque du Pui, la Tour, Saussac, & autres gentilshommes ; dans l’espace de cinq ou six mois reprenant les châteaux d’Espalli près du Pui, S. Quentin, Bellemonte, Bellecombe, & autres forts, au nombre de dix à douze ; Baudisner se défendit, parce qu’il avait tenu & gardé depuis le commencement des troubles par le capitaine Vacherelles. Les protestants perdirent 4 ou 500 hommes en Velai.
Les états de Languedoc, tenus à Montpellier, ayant résolu de ne rien imposer sur le fait de la guerre, du Peloux voyant que le pays ne lui fournissait pas de quoi la soutenir, se démit de son gouvernement sur la fin de Janvier de l’an 1574, laissa la ville d’Annonai à la garde des habitants, & le château à celle des Colaux, son frère ; ce qui donna lieu aux habitants d’élire leur gouverneur André de Gurin, sieur de Matré, gentilhomme ; ils nommèrent ensuite trois d’entre eux pour la garde des portes de la ville, et bientôt après se chargèrent de celle du château, avec la résolution de vivre en paix sous l’obéissance du roi, & de ne favoriser en aucune manière les troubles, ni les différents partis.
Au mois de Mars de l’an 1574 Peraud, qui jusqu’alors avait suivi du Peloux, soutenu de presque tous les soldats congédiés du château d’Annonai, & d’une cinquantaine de jeunes hommes de la ville & de la garnison de Bozas, s’empara de celui de Barge & de Serrières, mit garnison dans son château de Peraud sur le Rhône, & enleva une voiture de marchandises de Lyon pour la valeur de cent mille livres.
En 1574 les habitants de Preaulx & de S. Jure, à l’exemple de ceux d’Annonai, prirent le parti de se garder eux-mêmes contre les protestants ; mais une compagnie de ces derniers ayant surpris l’église, où ils avaient porté tous leurs effets, furent pillés, aussi bien que ceux de S. Jure, qui surpris par le capitaine Clavel dans l’église où ils s’étaient fortifiés, dans le temps même de la capitulation, furent presque tous ou tués ou blessés.
Montrond, de la maison d’Apchon, chevalier de l’ordre du roi, fut fait prisonnier par les soldats de Peraud, dans une sortie de son château de Luppé, qu’il fit pour les reconnaître, & tué le dernier Mars 1574 par un de ses sujets, qu’il avait autrefois maltraité.
Le 6 Avril de la même année 1574 la ville de Malleval fut surprise par les soldats de Peraud, à la faveur d’une grosse pluie, ils y mirent garnison, brûlèrent quelques maisons, & s’y fortifièrent avec perte de la part des habitants ; ils mirent aussi garnison dans le prieuré de Charnas.
Ces nouveaux troubles, qui annonçaient une nouvelle guerre dans le Vivarais, furent cause que les habitants d’Annonai prirent de nouvelles résolutions de vivre en paix sous les édits du roi, s’unirent ensemble, & se promirent une fidélité mutuelle. Pierregourde, qui le lundi de Pâque 12 Avril 1574 avait pris par composition le château de Quintenas, & y avait mis garnison, les somma de recevoir l’exercice de la religion réformée, & d’en faire profession publique, comme aussi d’abattre la grande église de la place vieille, afin que personne ne s’en saisît, ayant appris leur union, il ne les pressa plus.
D’un autre côté, Entragues, de la maison d’Urfé, gouverneur de Forez & S. Chamond levaient des troupes avec l’artillerie qui sortait de Lyon, pour assiéger Peraud, Serrières, & Malleval. Voulant se rendre maîtres d’Annonai, ils sommèrent les habitants de recevoir une garnison ; mais ceux-ci voulant s’en décharger, & se garder eux-mêmes, promirent de ne recevoir aucunes troupes contre la volonté du roi, & donnèrent pour otage de leur parole & de leur fidélité deux habitants des plus considérables de la ville, de l’une & de l’autre religion ; ce qui fut arrêté au château de la Condamine près d’Annonai, le 25 Avril 1574.
Le même jour, les troupes de S. Chamond et d’Urfé partirent pour aller à Serrières ; à l’approche desquelles les protestants qui tenaient Mure & Charnas, les abandonnèrent, après de grands dégâts. Peraud fut attaqué et assiégé le 3 mars 1574 & forcé d’abandonner ses deux châteaux.
Ceux qui occupaient le château de la Barge, & qui s’étaient retirés dans celui de Serrières, abandonnèrent celui-ci de nuit, de même que ceux de Malleval, sur le bruit de la marche & de la batterie de Peraud : cette ville fut brulée par les soldats. Quintenas fut sommé de se rendre sans être attaqué, après quoi les troupes de S. Chamond se retirèrent.
Le capitaine Cellier, cadet de sa famille, commandant alors de Quintenas, sous Pierregourde, devenu suspect, se démit de son commandement, qui fut donné à Peraud accompagné de ses troupes.
Quoique les habitants d’Annonai fussent sous la protection du prince Dauphin, lieutenant-général pour le roi en Languedoc, Provence, & Dauphiné, qu’ils eussent permission de se garder eux-mêmes, & qu’ils eussent fait supplier par des députés S. Chamond de les laisser en paix & en repos, ce dernier, après la prise de Peraud, ne cessait de les solliciter & de les presser de recevoir une garnison catholique : ce qu’ils refusèrent, aussi bien que ceux de Boulieu. Ceux d’Annonai furent alarmés sur le bruit qui se répandit, que depuis le décès de Charles IX la reine mère, régente du royaume, avait donné à S. Chamond le commandement du Vivarais.
Sur ce bruit, S. Romain, frère de S. Chamond, commandant dans le bas Languedoc, les Cevenes, le Vivarais, & le Velay, pour les religionnaires, se rendit au château de Bozas avec un grand nombre de troupes ; d’où il écrivit aux consuls d’Annonai, de lui envoyer cinq ou six de ses habitants les plus considérables, pour conférer avec eux. Sa lettre lue dans l’assemblée de la ville, il fut délibéré que Matré accompagné de quelques autres habitants, tant catholiques que religionnaires, iraient joindre S. Romain, & qu’ils le prieraient de ne rien tenter contre leur ville, & d’en éloigner ses troupes : ce qu’ils crurent obtenir. Mais pendant leur conférence tenue à Quintenas, deux ou trois compagnies s’étant approchées & logées dans le fauxboug, surprirent la ville, à la faveur de quelques habitants qui étaient d’intelligence avec d’autres qui étaient dans les troupes de S. Romain, donnèrent entrée aux capitaines Clavel, le Boucher, Cussonnel, le Bascou, & quelques autres ; ce qui affligea extrêmement la ville, qui se vit replongée dans les mêmes malheurs qu’elle avait voulu éviter, & qu’elle n’avait que trop éprouvés auparavant.
S. Romain informé de la surprise de cette ville, s’y rendit le jour même le 17 Juillet 1574 accompagné de trois ou quatre cents chevaux, & de cinq compagnies d’infanterie, mit des capitaines et des gardes aux portes & au château, & fut maître absolu de la ville ; d’où le lendemain 18 Juillet, ceux des catholiques qui voulaient sortir, furent accompagnés hors de la ville : on ne fit aucune violence ni aux prêtres, ni aux autres catholiques qui voulurent rester.
S. Romain touché de compassion sur l’état pitoyable de ces derniers, détourna la proposition qu’on fit, de lever sur eux deux ou trois milles livres, pour le paiement des troupes, dont ils étaient déjà extrêmement foulés, aussi bien que les ecclésiastiques, les biens desquels étaient employés pour le payement des soldats, avec ceux des deniers royaux & du domaine.
Pendant le séjour de S. Romain & de ses troupes à Annonai, la garnison de Quintenas se retira dans la ville ; & le château magnifique de l’archevêque de Vienne, autrefois les délices de la maison de Tournon, fut brûlé & presque entièrement ruiné, avec l’église que l’on croit de la fondation de Charlemagne.
Quintenas avait été anciennement une abbaye de l’ordre de S. Benoît, à laquelle la maison de Tournon avait donné des abbés, qui avaient fourni des sommes considérables pour la construction & l’entretien du château, sur l’une des portes duquel on voyait autrefois les armes de cette maison, qui sont de France, parti de gueules au lion rampant d’or, avec la crosse abbatiale à la cime de l’écusson.
…Dès le 8 Décembre 1574 les compagnies de Mandelot, de Rostaing, & de la Barge, étaient déjà délogées de Quintenas et des environs ; & suivies le lendemain de celle de la Guiche qui était à Boulieu, elles prirent la route du Forez et du Lyonnais : par là le blocus d’Annonai fut levé.
Les troupes catholiques ravagèrent tous les villages jusqu’à la rivière de Doulx, & commirent tant d’excès & de violences, que les habitants qui voulurent éviter leur fureur, furent obligés de se retirer ou dans les villes, ou dans les forêts.
La maison d’Astier, près de Quintenas, fut brûlée, la tour de Munas sous Ardoix, abattue, & tout le bétail pris & enlevé par les soldats.
[1] Achille Gamon, dans ses Mémoires, attribue la trêve à François de Barjac. Il ne fait guère de doute que ce dernier est mort depuis 1568. Eugène et Émile Haag, dans leur ouvrage La France Protestante, citent bien Isaac comme étant le signataire de la trêve de décembre 1573.
Petite bibliographie
Pour découvrir les ouvrages où on retrouve ce récit et ces personnages ou d’autres documents et sites Internet traitant des guerres de religion en Vivarais vous pouvez consulter :
- Mémoires d’Achille Gamon, avocat et consul d’Annonai [éd. par Aubais – 1788] » Lire ce livre
Autre version sur le site de la BNF » Lire ce livre - Pièces fugitives, pour servir à l’histoire de France, Volume 2 [Par Léon Ménard et Ch. de Baschi, marquis d’Aubais – 1759] » Lire ce livre
- Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, depuis le règne de Philippe-Auguste jusqu’au commencement du dix-septième siècle, 1e et 2e série, Volume 34 [Par Claude Bernard Petitot, éd. par Foucault – 1823] » Lire ce livre
- Dans les pas de Cévennes terre de lumière, Volume 2 [Par Michel Riou – éd. par La Fontaine de Siloë, 2005] » Lire ce livre
- Portrait d’Achille Gamon [medarus.org] » Voir ce site
- Testament de Nicolas du Peloux [legendesvivantes.hautetfort.com] » Voir ce site