Merci à Michel Heyraud et Jean Meissat pour nous avoir fait bénéficier des recherches approfondies qu’ils avaient effectuées sur le thème de l’eau.
L’eau du puits
Pendant des générations, on va puiser l’eau de source dans des puits creusés et empierrés de forme arrondie. Une corde ou une chaîne permet à un récipient d’atteindre l’eau.
Les fermes et les maisons possèdent généralement leur puits privé, situé dans la cour ou le jardin. Certains puits peuvent être réservés à des groupes de familles, leur droit d’accès est alors précisé dans les actes notariés.
Les grandes propriétés, quant à elles, disposent depuis longtemps de réservoirs privés qui leur permettent d’avoir une distribution d’eau dans la maison (notamment Le Peyron, La Grangette, le château de Brézenaud).
La commune possède, elle aussi, ses propres puits qu’elle met à la disposition des habitants qui n’en ont pas pour leur consommation personnelle et celle de leurs animaux. Dans les rues de Quintenas, on peut encore apercevoir les restes de quelques-uns de ces puits collectifs.
À Quintenas, le puits banal était très probablement celui situé dans l’impasse de la Grande Rue nord car il était accompagné d’un four à pain. Le puits situé Place de l’Église semble avoir été celui du prieuré. Ces privilèges ont été abolis définitivement en 1793.
Le puits des Perchaux, quant à lui, était celui de la paroisse. En effet une étude étymologique effectuée par Michel Guigal précise que le nom Perchaux viendrait de Font Perrochale (fontaine paroissiale).
Puits et abreuvoirs collectifs dans le village
Puits et abreuvoirs collectifs dans les hameaux
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L’eau coulante
C’est dans les années 1880 que la population de la commune commence à s’inquiéter et soulève le problème de l’alimentation en eau. Les Quintenassiens constatent qu’ils sont privés d’eau en période de sécheresse et craignent des épidémies en période de pluies importantes.
En 1883, ils se mobilisent pour avoir, comme ils disent, l’eau “coulante”. Une pétition est adressée à la mairie réclamant une fontaine au cœur du village et un lavoir digne de ce nom. Ce point est tellement crucial qu’ils proposent une souscription, voire des journées de travail en nature, pour obtenir l’accord du conseil municipal.
Cette même année, la mairie fait estimer les travaux nécessaires pour améliorer la distribution d’eau dans les hameaux et étudie les options possibles pour le village : fontaine sur la place, amélioration des puits des Perchaux et de la Bardoine. On note que certains sont opposés à l’installation de l’eau coulante. Le notaire, M. Defrance, adresse un courrier dans ce sens au maire en 1885.
20 avril 1890 : délibération du conseil municipal
La décision est prise, l’eau coulante sera installée. Le conseil se réunit pour la nomination d’une commission exécutive afin de mener à bien les travaux des eaux.
MM. Mosnier, Caillet, Coutier, et Guigal seront en charge de la bonne exécution des travaux. M. Mosnier, adjoint, présidera la commission.
1890 : captation d’une source
La commission s’engage à régler la somme de mille francs à M. Rougier, géologue. Ce dernier a effectué les fouilles pour la captation d’une source située dans un champ appartenant à M. Caillet, à Montjoux-le-Bas, à côté de Guillaume. Si le débit de 15 000 litres par 24 heures n’est pas atteint, la somme sera payée au pro rata du débit.
1890 : réaménagement de la place de l’Église
Le conseil municipal décide de déplacer la pompe communale et la croix situées au milieu de la place de l’Église en prévision des travaux d’adduction d’eau et de l’édification de la future fontaine.
1890-1893 : longue élaboration du dossier administratif
La municipalité soumet le projet à l’approbation de l’administration. Le dossier fait de nombreux allers-retours : enquête et questionnaires, transmission au Comité des bâtiments civils, problème de ressources financières…
Les formulaires contenus dans le dossier nous apprennent que l’eau coulante doit être distribuée auprès de 495 habitants sur les 1 127 que compte la commune, que le village ne dispose pas d’égout, pas de lavoir, pas de fosse d’aisance dans chaque maison. On découvre également que le sol est d’origine granitique, que l’on emploie de l’engrais humain pour la culture, qu’il n’y a pas de grands espaces non cultivés et que le peu qui le sont sont en prairie. Le document précise que la source est située à un niveau supérieur de 10,69 m par rapport au point de distribution. Enfin les prélèvements destinés à l’analyse de l’eau ont été effectués par le maire (M. Fournat de Brézenaud, inspecteur d’agriculture) et le garde champêtre. Ils ont prélevé 3 litres d’échantillons dans des bouteilles par une température de 15° à un point situé à environ 1 500 m de l’agglomération et à 290 m de la ferme la plus proche.
Face aux problèmes budgétaires, le conseil municipal propose d’affecter à l’alimentation en eau une somme initialement prévue pour la réfection du clocher de l’église.
Le député François Boissy-d’Anglas, petit-fils du Conventionnel et élu républicain en 1877, intervient pour appuyer la demande de dispense d’une deuxième analyse de l’eau.
1893 : enfin le projet prend forme
Les plans et profils de la canalisation sont établis par M. Reymon, architecte à Annonay, et présentés à la mairie le 21 janvier 1893.
Le circuit des canalisations partira de Guillaume, passera à proximité de la ferme des Pêchers (on signe une convention pour le dédommagement de M. Rullière) et suivra la route de St-Romain-d’Ay jusqu’au village. Le profil des zones traversées est détaillé depuis la tranchée de captation jusqu’au milieu de la Place de l’Église.
10 mai 1894 : achat de la source Caillet
La commune achète à M. Caillet, pour la somme de 2 300 F, la source et les constructions et travaux effectués pour la captation sur son terrain (parcelle 391, section D). M. Caillet s’engage à ne jamais détourner tout ou partie des eaux de cette source à son profit et à laisser libre accès pour son entretien.
Le 14 août 1894, le maire de Roiffieux, Pierre Garnier, vient à Quintenas pour établir le procès-verbal descriptif et estimatif à la demande du sous-préfet. Il décrit le drain établi pour la captation en travers d’une dépression du sol de nature granitique (55 m de long, 2,1 m de large et 2,5 de haut, avec regard et prise d’eau). La source est située à environ 300 m de la ferme la plus proche (Les Pêchers – famille Rullière) et débite environ 28 500 litres en 24 heures.
1894-1896
L’ensemble des travaux d’adduction d’eau est géré par deux architectes annonéens, MM. Reymon et Borione. Il semblerait que M. Reymon ait établi les plans des canalisations, M. Borione ceux des fontaines et lavoir.
1896 : plans et devis
Les plans des édifices liés à l’adduction d’eau sont établis par l’architecte Élie Borione d’Annonay.
- Construction à Guillaume d’un réservoir voûté en maçonnerie de pierre et fond bétonné d’une capacité de 250 mètres cubes
- Borne fontaine et lavoir “près de l’ancien puits” (probablement aux Perchaux)
- Borne fontaine et abreuvoir “au midi” (Rue de l’Abreuvoir, près du nouveau parking)
- Borne fontaine au Pontet (angle de la maison Mounier, au 8 Place du Pontet)
- Bassin monumental sur la place de l’Église (fontaine actuelle)
- Lavoir sur la place du Pontet.
13 septembre 1896 : achèvement des travaux de canalisation
Le conseil municipal entérine l’achèvement des canalisations et valide les plans et devis dressés par l’architecte Borione.
1896-1898 : le devis évolue
Devis estimatif en juin 1896 : 10 480,90 F
Après révision du projet en juin 1897, le conseil municipal décide de supprimer la borne fontaine et l’abreuvoir au midi ainsi que la fontaine de la place du Pontet.
Le devis final sera de 9 691,64 F, enfin validé en janvier 1898.
1896 : cahier des charges et adjudication des fontaines et lavoir
Le document dressé par l’architecte Elie Borione, le 21 novembre 1896, précise les règles établies pour le déroulement et la conformité des travaux.
- De l’adjudication et du cautionnement.
Le projet devra être réalisé par un ingénieur ou un architecte connu.
Une caution de 1 000 francs sera déposée auprès du percepteur de la commune pour placement à la Caisse des Dépôts et Consignation et ne pourra être retirée qu’après réception des travaux. - Désignation et provenance des matériaux.
La provenance des matériaux utilisés (chaux, gord, sable, pierre, bois, éléments de tuyauterie…) est indiquée précisément (entre autres sable de la rivière d’Ay, bois de Saint-André-des-Effangeas ou de Saint-Bonnet-Le-Froid, tabernacles de fonte de la fonderie Loix et Ribes d’Annonay). - De l’exécution des travaux.
Le délai de 6 mois peut être prolongé en cas d’intempéries ou de fonds non disponibles. Il est fait mention des capacités requises pour les responsables des travaux, des conditions d’entreposage des matériaux et autres contraintes, par exemple l’obligation d’éclairer les tranchées par des lanternes dans la traversée du village. - Du règlement des dépenses.
Le devis estimatif devra être respecté à la lettre. - De la garantie et de ses effets.
La garantie court six mois après la réception des travaux. - Des payements des acomptes et solde.
Les paiements des acomptes seront faits par le percepteur municipal. Le paiement du solde également mais ne pourra être fait qu’avec le procès-verbal de réception définitive. - De la réception des travaux.
La réception provisoire sera effectuée par l’architecte et le maire dès l’achèvement des travaux. Le procès-verbal de réception définitif sera dressé à l’issue du délai de garantie par le maire et deux conseillers municipaux en présence de l’adjudicataire. Il sera soumis à l’approbation du préfet. - Frais relatifs à l’adjudication.
- Conditions générales.
Dressé par l’architecte Borione le 21 novembre 1996 – Modifié le 23 juin 1897 – Vu et approuvé par le préfet le 11 juillet 1900
1896 : achat de la parcelle Rullière
Une parcelle de 139 m2 est achetée à M. Antoine Rullière, propriétaire aux Pêchers, pour la construction du réservoir. Le prix est fixé à 279,50 F, soit 2 F le mètre.
1899 : analyse de l’eau
Une nouvelle analyse de l’eau est effectuée par le laboratoire du Comité d’Hygiène Publique du Ministère de l’Intérieur. Elle s’avère de bonne qualité selon les critères de l’époque.
Les nouveaux édifices liés à l’eau coulante
Les plans subissent quelques modifications. Leur version définitive est celle établie en 1900.
Le réservoir de Guillaume (plan et photos).
Le lavoir du Pontet (plan et photos).
La fontaine sur la place de l’Église devait être surmontée d’une vasque. Celle-ci a peut-être été installée avant qu’elle ne soit remplacée par la statue de Jeanne d’Arc que nous connaissons aujourd’hui.
Les deux magnifiques têtes de lion étaient encore présentes dans les années 50, l’une avait disparu dans les années 60. Ce sont à présent deux plaques en fonte qui les remplacent.
20 avril 1902 : fin des travaux
Les travaux d’achèvement des canalisations ainsi que la construction d’une fontaine publique et d’un lavoir sont terminés. Les procès verbaux de réception provisoire et définitive dressés par l’architecte et les deux conseillers municipaux désignés constatent que les travaux ont été consciencieusement exécutés par le “sieur Pierre Caillet” conformément au cahier des charges. Le montant prévu doit lui être payé sans aucune retenue.
L’extension du réseau
1931 : amélioration du réseau
Les fontaines sacrifiées en 1896 pour des raisons budgétaires sont mises en service.
Au sud du village, une fontaine et un abreuvoir sont installés à l’angle de la route de Brénieux et de la rue de l’Abreuvoir dont le nom a conservé le souvenir de ce service.
Rue de Saint-Romain-d’Ay, une fontaine est installée à l’angle de la rue de la Chapelle.
Au nord, une fontaine dessert la place du Pontet, à l’angle de la Grande Rue, contre la maison Guigal (aujourd’hui Mounier).
Ces trois fontaines, auxquelles on avait associé des bouches d’incendie, ont été détruites lors de l’installation de “l’eau du Rhône” à Quintenas.
Comment les Quintenassiens utilisent l’eau coulante
Depuis sa mise en service en 1902 et pendant une soixantaine d’années, la fontaine de la place de l’Église est le cœur battant du village. Chaque jour, les habitants se succèdent pour remplir les arrosoirs nécessaires à la maisonnée pour la toilette, la préparation des repas, la vaisselle. Ce sont parfois les enfants qui, à la sortie de l’école, sont chargés d’aller chercher leur part d’eau dans un petit arrosoir à leur taille.
Les maisons du village abritent de nombreux animaux, les écuries se succèdent tout au long des rues. Chaque soir, on croise les vaches et les chevaux que l’on conduit au bassin qui sert aussi d’abreuvoir.
L’eau de la fontaine sert également à alimenter l’alambic qui s’installe chaque année sur la place de l’Église.
Parfois des sécheresses exceptionnelles ont pour conséquence la mise en place de restrictions horaires pour le remplissage des arrosoirs. En 1943, la source qui alimente la commune en eau est quasiment tarie et le lavoir du Pontet est totalement dépourvu d’eau. Le conseil municipal décide alors de faire construire un petit lavoir à la source des Bœufs, à proximité de l’actuelle salle Louis Vincent et du chemin des Tisseuses. Ce petit lavoir était encore utilisé dans les années 1950.
Quant aux rejets, ils sont tout simplement évacués dans les jardins lorsqu’il y en a ou bien dans des caniveaux en galets du Rhône qui bordent la Grande Rue de chaque côté. En été il faut parfois aller chercher un arrosoir pour évacuer les déchets accumulés dans l’égout à ciel ouvert. Sur ce point, rien n’a changé depuis la fin du XIXe siècle.
L’évolution du réseau
1947 : adhésion au réseau Cance-Doux
En 1943 une association intercommunale, le Syndicat des Eaux Cance-Doux, est créée pour assurer l’alimentation en eau potable des communes situées entre la Cance et le Doux. Deux stations de pompage sont prévues, une à Arras et l’autre à Saint-Jean-de-Muzols.
23 septembre 1947 : Quintenas adhère au Syndicat et verse sa participation aux dépenses d’installation d’eau.
C’est toujours ce même réseau qui délivre l’eau à Quintenas, sa gestion est assurée par la SAUR (Société d’Aménagement Urbain et Rural).
1961 : adduction de “l’eau du Rhône”
La station de pompage d’Arras est inaugurée et le réservoir principal du Montbard est construit. Il doit desservir plusieurs communes dont Quintenas. Les Quintenassiens ont, depuis ce jour, appelé “eau du Rhône” l’eau qui s’écoule de leurs robinets.
À partir de 1962, de grands travaux d’aménagement sont engagés pour permettre à tous les habitants de la commune qui le souhaitent d’être reliés au réseau Cance-Doux. Des travaux d’assainissement avec un tout-à-l’égout enterré sont menés conjointement par la Mairie. La première station d’épuration est située au Pontet à l’emplacement actuel de la plateforme de tri sélectif.
Les travaux bouleversent la vie du village pendant de longs mois. De gros engins inhabituels sillonnent les rues, les ouvriers s’affairent et le bruit des marteaux-piqueurs devient familier. On entend parfois des tirs de mine car le rocher n’est jamais bien loin. Mais les habitants font preuve de patience, conscients que ces installations vont changer profondément leur quotidien. Les familles vont enfin découvrir le plaisir du confort sanitaire.
Le débit insuffisant nécessite la construction d’un château d’eau sur le point le plus élevé de la commune, le hameau de Montjoux. Le réseau ayant été renforcé en 2001, le château d’eau n’a plus de raison d’être. Il n’est plus utilisé à l’heure actuelle.
La fontaine de la place de l’Église et le lavoir ont continué à être alimentés par l’eau provenant du réservoir de Guillaume via l’ancien réseau. Malgré les machines à laver installées dans tous les foyers, de nombreuses ménagères de Quintenas utilisaient encore le lavoir dont l’eau offrait au linge une douceur naturelle incomparable. Le fonctionnement de la fontaine a toutefois été interrompu dans les années 1970 ; elle a alors été remplie de fleurs. Le lavoir, quant à lui, a été opérationnel jusque dans les années 2010.
En 1995, un nouveau projet de traitement des eaux usées est lancé. La station d’épuration de la Goueille, plus puissante, entre en service en 1998.
Une page a été tournée, Quintenas est entré dans la modernité.
Carte
Chaque puits, fontaine ou édifice lié à la distribution de l’eau est matérialisé par un pictogramme. Si les repères sont proches, un point de couleur indique la zone où ils se situent et précise leur nombre. Cliquez sur le point de couleur pour voir le détail.
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