Le charivari : une coutume ancienne
Le charivari est une parodie qui consiste à faire du tapage pour tourner en dérision une personne jusqu’à ce qu’elle paie une “rançon” (une somme d’argent ou une simple tournée de vin). Le charivari est toujours un trouble à l’ordre public car il peut durer très longtemps, jusqu’à ce que les personnes moquées obtempèrent.
Les personnes visées sont le plus souvent des couples. Pour les ridiculiser, on utilise tout ce qui permet de les exhiber à la vue de la population : charrette tirée par des femmes, brouette, âne… Au XIVe siècle on obligeait le futur mari jugé trop âgé à monter à l’envers sur un âne et à lui tenir la queue, tandis que sa femme plus jeune l’enfourchait à l’endroit et que la foule conspuait le couple. Un veuf qui se remarie trop vite, un homme battu par sa femme, une femme qui épouse un “étranger” subissent le charivari. On peut remplacer les individus moqués par des figurants ou des mannequins.
C’est l’occasion pour la population de se déguiser avec de vieilles chemises de nuit, le visage barbouillé de farine ou de suie, et surtout de faire le plus de bruit possible en utilisant de vrais tambours ou toute une batterie de cuisine sur laquelle on tape sans discontinuer. Pour clore le charivari, on pend et on brûle les effigies de paille que l’on a pu utiliser.
L’amusement vire à l’émeute
C’est en 1818 qu’à Quintenas un charivari organisé pour un couple jugé mal assorti a tourné à l’émeute et a causé des blessures à deux gendarmes venus remettre de l’ordre.
Voici le courrier adressé au préfet sur cette affaire par M. de Fourgerolle, envoyé en mission d’enquête sur les incidents.
Sédition contre la gendarmerie à Quintenas, arrondissement de Tournon, 2 gendarmes blessés
Privas le 14 février 1818
Monsieur le préfet,
D’après votre ordre du 5 courant je me suis rendu à Quintenas, arrondissement de Tournon, afin de découvrir les auteurs de la révolte exercée contre la gendarmerie dans la journée du premier du courant. J’aurai l’honneur de vous rendre compte.
Que
dans la nuit du trente et un janvier vers le 9 heures du soir le garde champêtre suivit deux individus et ensuite trois qu’il reconnu être les nommés Mourier, Deschaux et Dérieux de la commune de Quintenas. Les deux premiers étaient armés de chacun un fusil, l’un de munitions et l’autre à deux coups. Ils s’arrêtèrent au devant de l’écurie du nommé Chassigneux, l’ayant découché ils lui demandèrent de l’argent et une tournée de vin ou sinon qu’il aurait le charivari le lendemain toute la journée.
Le garde champêtre, ancien militaire et parfait honnête homme, leur dit qu’il ne fallait pas se conduire de telle manière, et que le soir « ils ne devaient pas rôder avec des armes ». Les trois individus lui répondirent des insultes et des malhonnêtetés, le menacèrent même.
Il fut ensuite trouver M. l’adjoint et lui demanda s’il avait autorisé les individus à porter des armes, à quoi il répondit négativement. Le garde champêtre partit le lendemain premier du courant pour prévenir M. le maire (Fournat) qui était à Annonay, et lui exposa « qu’un nommé Chassigneux, veuf, se mariait, que des individus voulai(en)t lui donner le charivari s’il ne leur donnait de l’argent, que M. l’adjoint venait de partir, que les trois individus l’avaient insulté et que le charivari pourrait amener du bruit et qu’il serait nécessaire d’avoir de la gendarmerie pour maintenir la police dans le village », alors M. le maire lui donna une réquisition par écrit pour deux gendarmes d’Annonay.
En suite de cette réquisition le Mal des logis Delavarenne, le gendarme Trousset, et le garde champêtre se rendirent à Quintenas dimanche premier du courant. Arrivés à l’entrée du village ils entendirent battre le tambour et lorsqu’ils furent sur la place ils ne virent personne. Vers les 11 heures du matin, dix à douze jeunes gens se rassemblèrent. Ils parlèrent au garde champêtre, à la gendarmerie, en leur disant « Nous ferons le charivari, Bon gré et malgré vous. Et moi » dit le nommé Mourier « j’y serai et j’irai chercher le tambour ». Le maréchal des logis voyant l’effervescence de ces individus jugea à propos d’écrire à M. le maire à Annonay, et le gendarme Trousset fut chargé de la lettre. Celui-ci parti(t) à onze heures et demie.
Pendant le temps qu’il était en route, le nommé Mourier fut prendre chez lui un tambour qu’il donna à un jeune homme qui se mit aussitôt en devoir de battre sur la place et proche de l’église. Le garde champêtre fut à lui, lui creva sa caisse avec son sabre, la lui prit et l’emporta chez M. l’adjoint.
Le gendarme Trousset arrivé à Annonay fut chargé par M. le maire de Quintenas de retourner avec le reste de la Brigade, et que lui-même allait les suivre pour rétablir l’ordre. Le gendarme arriva dans cette commune à trois-quarts pour deux heures avec les nommés Dusserre et Veyrand. Ils mirent leurs chevaux dans leur auberge accoutumée, chez le sieur Marcelle. Le dernier de ces gendarmes ayant débridé son cheval à l’écurie, sortit le premier. Il vint sur la place en face de l’église, où il vit plus de cent personnes rassemblées autour d’une voiture trainée par quatre femmes sur laquelle il y avait un mannequin représentant le vieux Chassigneux et deux autres représentant sa femme et un de ses enfants du premier lit.
Le gendarme Veyrand s’étant de plus en plus approché fit le reproche que l’on ne devait pas troubler en face de l’église l’office divin, et se mit en devoir d’ôter ou de renverser avec son sabre les trois mannequins. À peine les eut-il tombés qu’il reçu au menton un coup de pierre qui l’a étourdi sur le moment.
Trousset gendarme arrivant dans le moment sans connaître même que son camarade fut blessé, il fut assailli de coups de pierre de tous les côtés. Il en reçut trois et le quatrième l’ayant atteint au côté droit de la tête le renversa par terre. S’étant relevé sur les genoux il tira un coup de carabine qui n’atteignit personne.
Le maréchal des logis Lavarenne et le garde champêtre étaient dans le moment chez M. le percepteur de la commune. Ayant entendu le bruit, accoururent sur la place, en même temps que l’autre gendarme Dusserre, et virent les deux gendarmes blessés. La foule se précipita sur eux, et les serra contre la maison de l’auberge du sieur Marcelle. Cependant ceux-ci malgré les pierres qui tombaient de tous côtés par la plus grande prudence ne firent point usage de leurs armes.
C’est particulièrement sur la conduite du maréchal des logis et du gendarme que M. le maire de Quintenas nous a rendu le compte le plus favorable.
Les gendarmes blessés voulurent rentrer dans l’auberge du sieur Marcelle qu’ils connaissaient et où étaient leurs chevaux. Cet homme eut l’inhumanité de les prendre par le bras, de les mettre à la porte avec les plus grossiers propos et les exposer par là à se faire lapider.
Sur ces entrefaites M. le maire arriva et il eut bien de la peine à faire retirer toutes ces personnes. Il fit de vifs reproches à l’aubergiste précité et le força de rendre les chevaux des gendarmes. Ceux-ci remontèrent à cheval et furent hués de toute la canaille en s’en retournant.
Voilà M. le préfet les circonstances de cette rébellion. Il est constant et reconnu qu’il y avait alors plus de deux cents personnes, dont la majeure partie était armée de pierres et il est parfaitement reconnu que la gendarmerie n’est allée dans cette commune qu’en suite d’une réquisition du maire, et sur rapport du garde champêtre qui lui a rendu compte qu’il pensait que par les insultes qu’il avait reçu la veille « la tranquillité publique serait troublée », que M. le maire avait ordonné lui-même au reste de la brigade de s’y rendre, et que lui-même allait la suivre sur les lieux.
Il est également prouvé et reconnu que les individus ont commencé à se rassembler au bruit du tambour, et pendant l’office divin, et d’insulter la gendarmerie et le garde champêtre.
Il est constant et également reconnu que les gendarmes blessés n’ont donné aucun motif ni fait aucune insulte qui ait pu provoquer cette sédition. Je veux bien croire, comme on a semblé le dire, qu’une partie de ces individus étaient ivres, mais ce n’est pas une raison pour exercer des voies de faits contre une autorité légalement requise.
Je me suis transporté sur les lieux, j’ai entendu dix-huit témoins, et ce n’est que d’après la parfaite conviction que j’ai de toutes les circonstances que j’ai l’honneur de vous transmettre le présent rapport.
Dans celui que j’ai rendu à M. le sous-préfet, je lui ai fait connaître que l’auberge du sieur Marcelle avait refusé sa porte aux gendarmes blessés qui étaient logés chez lui, et avec des propos les plus outrageants.
Par les renseignements que j’ai pris sur la conduite de cet individu, il passe pour un mauvais sujet, il donne à boire continuellement pendant la durée des offices, il fait jouer et boire pendant une partie des nuits chez lui, et des individus y ont perdu jusqu’à deux à trois cents francs.
Ayant opéré en qualité d’officier de police judiciaire, j’ai remis à M. le procureur du Roi toutes les pièces de l’information qui constatent que les nommés Joseph Mourier et Jacques Deschaux de la commune de Quintenas, qui sont les principaux auteurs de la sédition, et qu’un nommé Grancher aussi de cette commune, ont blessé les gendarmes Trousset et Veyrand. Ce dernier est encore dans son lit depuis cette époque, et les médecins ont déclaré qu’il ne pouvait s’en rétablir que dans un mois et qu’il serait possible qu’il devint sourd à la suite de cette blessure.
Voilà Monsieur le préfet les détails et circonstances de cette affaire de laquelle j’ai l’honneur de vous faire le présent rapport
J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, votre très humble et très obéissant serviteur
Ch. de Fougerolle
Les protagonistes
Le maire : Barthélemy FOURNAT, élu en avril 1816. Il vit à la fois dans sa maison d’Annonay et à Brézenaud.
L’adjoint : Marie Augustin ASTIER, ancien maire, il habite sur la place de l’église, à l’emplacement de la maison Décemond.
Le garde champêtre : Jean Louis GIRODON, nommé par le Préfet au poste de garde champêtre de Quintenas le 18 octobre 1816.
Le mari : Jean Barthélemy CHASSIGNEUX, propriétaire au Marthouret, né en 1786 (il a alors 31 ans), veuf en premières noces de Marie Magdeleine SERVE décédée le 12 janvier 1814.
L’épousée : Marie Rose BONNET, habitant Le Marthouret, âgée de 26 ans. Le mariage est célébré le dimanche 1er février 1818 à la mairie de Quintenas.
Les instigateurs du charivari : Joseph MOURIER (23 ans, cultivateur), sa famille habite dans l’actuelle rue des Écoles, près de la forge de Romain DUCLAUX – Jacques DESCHAUX (25 ans, tailleur de pierre), sa famille habite dans la même rue, dans les bâtiments occupés aujourd’hui par l’École Saint Joseph – DÉRIEUX, dont le prénom n’est pas précisé, est probablement domicilié à Rome ou à La Font-du-Roi – Apparemment il n’y a pas de GRANCHER à Quintenas mais un GRANGER dont le nom aurait pu être écorché par les témoins.
L’aubergiste : Louis MARCEL(LE). Son auberge est située face à l’église, à l’emplacement de l’actuel salon de coiffure. L’écurie est à l’angle de la rue de Saint-Romain-d’Ay et de l’impasse des Oiseaux.