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La conscription
C’est au Conseil des Cinq-Cents et plus particulièrement au député Jean-Baptiste Jourdan, général révolutionnaire, qu’on doit l’instauration de la conscription, votée le 19 fructidor an VI (5 septembre 1798).
« Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ».
Quelques extraits de la loi Jourdan
La conscription militaire comprend tous les Français depuis l’âge de vingt ans accomplis jusqu’à celui de vingt-cinq ans révolus. (art. 15)Les défenseurs conscrits sont divisés en cinq classes: chaque classe ne comprend que les conscrits d’une même année. La première classe se compose des Français qui, au 1er vendémiaire de chaque année, ont terminé leur vingtième année. (art. 17)
II sera formé dans les administrations municipales de commune et de canton, des tableaux sur lesquels seront inscrits tous les Français de leur arrondissement qui sont compris dans la conscription militaire. Ces tableaux seront faits séparément, classe par classe; ils indiqueront les nom, prénom, l’an, le mois, le jour de naissance, la taille, la profession et la commune de domicile des Conscrits. (art. 24)
Les conscrits appelés par la loi qui ne se seront pas rendus dans les délais prescrits, seront privés de l’exercice de leurs droits de citoyen; ils seront en outre poursuivis et punis comme déserteurs. (art. 53)
Louis XVIII abolit la loi Jourdan en 1818. Le service militaire prend alors des formes diverses selon les époques (engagement libre, tirage au sort avec remplacement ou exonération…). Il est rétabli sous la forme d’un service personnel, égal et obligatoire d’une durée de 2 ans par la loi Berteaux en 1905.
Le service militaire, devenu service national en 1965, prend fin avec le décret du 27 juin 2001. Les appelés militaires déjà sous les drapeaux sont tous libérés au 30 novembre 2001.
Le conseil de révision
Le décret impérial du 8 nivôse an XIII (29 décembre 1804) instaure le Conseil de révision. Le conseil de révision s’accompagne d’un tirage au sort permettant de désigner ceux qui effectueront leur service militaire dans l’armée active, ceux qui seront réservistes et ceux qui seront exemptés ou sursitaires. Seul un quota d’environ 35 % d’hommes par canton est retenu pour le service actif.
Au cours de l’hiver, les maires des communes du canton se réunissent pour mettre à jour les tableaux de recensement et envoient une convocation aux jeunes de la classe et à ceux qui ont été ajournés les années précédentes pour un tirage au sort, sous la Restauration, puis pour un tirage servant à définir la durée du service à partir de 1872.
La composition
L’examen des conscrits s’effectue au printemps, il détermine l’aptitude des jeunes gens et les demandes de dispenses. Le conseil de révision, dont les décisions sont définitives et sans appel, se réunit dans le chef-lieu de canton. Sont présents : le Préfet, un membre du Conseil Général, un membre du Conseil d’Arrondissement, un officier supérieur, le commandant du dépôt de recrutement, l’adjudant de gendarmerie et le médecin militaire. La séance étant publique, en général le maire et les conseillers du chef-lieu de canton assistent au conseil ainsi que les familles des conscrits.
La sélection
Les critères de sélection sont physiques et familiaux.
Les jeunes gens sont mesurés, pesés. Le médecin militaire observe leur dentition, leur vue, d’éventuelles infirmités. Les garçons doivent défiler entièrement nus devant l’ensemble de la commission.
Pour être déclaré « Bon pour le service », le conscrit doit mesurer plus de 1,54 m. Il ne doit pas montrer de difformités, de faiblesse de constitution, de problèmes de vue ou de signes de déficience mentale. L’absence de l’index droit rend le conscrit inapte au tir, une mauvaise dentition l’empêche de déchirer les étuis de papier contenant la poudre à fusil et conduisent à son exemption. La loi Jourdan exempte également les hommes mariés ou les veufs ayant des enfants. À partir de 1872, les dispenses sont élargies aux familles ayant déjà des militaires dans l’armée active et à certaines professions comme les enseignants et les ecclésiastiques.
Les conscrits déclarés « Bons pour le service » attendent l’automne pour être incorporés.
Traditionnellement, dès la sortie du conseil de révision, les jeunes, décorés de cocardes tricolores, de rubans et coiffés de chapeaux se rendent dans les bistrots du bourg où ils s’enivrent souvent pour la première fois.
Avec la loi Mesmer en 1965 les conseils de révision sont remplacés par les centres de sélection où les jeunes gens effectuent leurs « trois jours ».
Être conscrit en 1904
Auguste Rama raconte, dans son recueil de souvenirs, son enfance et sa vie de jeune homme. Pendant son dernier été à Quintenas, il se plie au rituel du recrutement militaire.
Le groupe des conscrits, chaque année, s’évertuait à faire parler de lui. Tout dépendait de leur nombre, et des personnalités qui le composaient. Ce nombre variait, selon les années, de huit à quinze – sans compter les filles, évidemment.
Tout commençait par le tirage au sort, qui n’était plus, depuis longtemps qu’une formalité dépourvue de toute utilité, mais que l’on conservait par pure routine. A l’origine, suivant le numéro tiré, on était appelé à faire son service soit dans la marine, soit dans la cavalerie, soit dans l’infanterie.
Les opérations de tirage étaient présidées et surveillées par la seule gendarmerie. Dans une salle de la mairie du chef-lieu de canton – Satillieu – une table recouverte d’un tapis vert portait une caisse en bois remplie de petits papiers marqués chacun d’un numéro. Les gendarmes entouraient la table. L’un d’eux, assis devant un registre, appelait l’un après l’autre les noms qui figuraient sur sa liste. Et sous son regard, il fallait retirer un numéro de la caisse et le montrer pour être enregistré. Au sortir de là, le papier en main, on se trouvait dans un couloir où une marchande nous remettait, moyennant finance, un rectangle de carton où figurait notre numéro imprimé, entouré de gravures multicolores représentant des soldats de diverses armes.
Ce numéro devait être placé sur le chapeau, sa base glissée sous le ruban. Celui que j’ai tiré était le n° 119.
Rentré au village, le groupe se devait de se produire ostensiblement et bruyamment le dimanche suivant, avec le numéro au chapeau. Et à partir de ce moment, presque chaque dimanche, il se manifestait, aussi tapageur que possible, à l’heure de la sortie de la grand-messe, par un défilé tout au long de la rue.
Il avait fait emplette du drapeau de la classe. On tirait au sort le porte-drapeau. Et la bande joyeuse défilait au son du clairon. En tête venait le tambour (qui était toujours celui de 1870, Pierre Riou), puis le porteur de la canne, à gros pommeau de cuivre, enlacée sur toute sa longueur d’un ruban tricolore (le porteur devait apprendre à la faire tournoyer au-dessus de sa tête, à la lancer en l’air, à la rattraper au vol, tout cela en marchant au rythme du tambour et du clairon). A quelques pas en arrière venait le gros de la troupe (dix en cette année 1903), chantant à tue-tête.
Si l’on se demande quel était mon comportement dans ces circonstances, je dois avouer que, cette année-là, j’aurais bien voulu être absent du pays, car, avec le tempérament que j’avais hérité de mon père, et du fait de notre éducation, je n’étais pas à l’aise. Je n’appréciais guère ces manifestations. Mais il fut décidé en famille, pour ne pas trop me singulariser, que je rejoindrais le groupe dans des circonstances bien déterminées tirage au sort, conseil de révision, banquet de la classe. C’est ce qu’avait fait mon frère Henri quatre ans auparavant.
Je m’intégrai donc, dans ces trois occasions, à mon groupe de conscrits, et défilai une fois dans la rue de Quintenas. Je dois reconnaître que j’avais la chance d’avoir à faire à des garçons un peu bruyants, un peu gais, mais corrects, même après le dernier verre, responsable des classiques écarts. Mais jamais je n’aurais pu m’astreindre à chanter avec eux, devant la porte de tous les cafés, le refrain traditionnel
« A boire ! A boire !
Nous quitterions-nous sans boire ?
Les conscrits ne sont pas si fous
Que de se quitter sans boire un coup. »Ce tirage au sort auquel je pris part fut le dernier. L’année suivante il fut supprimé une fois pour toutes.
Quelques mois après avait lieu le Conseil de Révision.
Dès la veille, on ne manquait point au sacro-saint défilé dans la rue, tambour et drapeau en tête, pour annoncer à la population que la commune, cette année encore, n’était pas dépourvue d’éléments mâles, et que le lendemain, aux autorités réunies au chef-lieu de canton, on leur ferait voir ce qu’on leur ferait voir.
Au chef-lieu de canton, où se trouvaient réunis tous les conscrits, c’était à qui ferait le plus de bruit. Les groupes qui attiraient le plus l’attention étaient ceux qui avaient la chance d’avoir parmi eux un clairon. Les jeunes filles de la localité jouissaient du spectacle en se dissimulant derrière leurs rideaux ou leurs volets, car ces jeunes aux moustaches naissantes, qui, dans leur village, n’osaient lever les yeux sur leurs conscrites, se déchaînaient facilement, hors de leur milieu, en extravagances de mauvais goût.
Ils étaient un peu moins fanfarons quand, une commune après l’autre, ils étaient appelés à exhiber leur anatomie dans la salle du conseil, devant les maires du canton, les médecins-majors aux képis de velours rouge et les gendarmes. Par séries de dix, nous étions introduits dans une salle où dix conscrits, qui venaient de passer, se rhabillaient, et où dix autres, déjà tout nus, attendaient leur tour. On nous invitait à nous dévêtir d’avance pour que les groupes puissent se succéder sans interruption devant la commission. Nous étions donc, pendant au moins vingt minutes, vingt gars dans la tenue d’Adam avant la faute (car en ce temps on se présentait sans sous-vêtement).
Devant la commission, deux médecins-majors en blouse blanche, manches retroussées, nous auscultaient, palpaient, pesaient, mensuraient chacun à notre tour, avant de lancer à la cantonade leur verdict : « Bon pour le service ! » ou « Ajourné un an ! » ou « Réformé ! Et toujours par dix, on regagnait la salle-vestiaire, où on pouvait s’estimer heureux si l’on retrouvait à leur place les vêtements laissés une demi-heure auparavant.
Ensuite, « Bon pour le service » ou non, chacun reprenait sa place dans le groupe communal pour participer aux festivités locales de l’année.
Au mardi gras, ce sont les conscrits qui organisaient les feux de joie sur la place de l’église : un gros tas de buissons qu’on faisait brûler à la nuit tombée, et autour duquel grands et petits, jeunes gens et jeunes filles, se livraient à une ronde endiablée, entraînée par un refrain chanté en patois que ma mémoire est impuissante à reconstituer. Et quand les flammes avaient diminué de hauteur et d’intensité, les plus malins les franchissaient d’un bond, non sans risque.
J’oubliais de dire que, dans l’après-midi de cette journée, ces mêmes joyeux drilles installaient sur la place où brûlerait le soir le feu de carnaval, une fabrique de gaufres en plein air, sur un feu de bois. Quiconque apportait deux œufs avait droit à une gaufre, qui d’ailleurs était toujours savoureuse.
Vers la Saint-Jean d’été, une autre circonstance les faisait se réunir encore, un dimanche. C’était le moment de la « tournée des conscrites ». L’événement était annoncé le dimanche avant, à la sortie de la grand-messe, par le garde champêtre. Tambour et clairon en tête, ils partaient d’assez bonne heure.
Arrivés devant la maison de chaque conscrite, ils s’annonçaient par un coup de clairon et un roulement de tambour, et chantaient, le moins faux possible, un refrain aux paroles variées, ou parfois, parodiant le chant « Montagnes Pyrénées », c’étaient les déclarations suivantes
« Conscrites de Quintenas,
Vous êtes nos a-amours !
Compagnes moins fortunées,
Nous vous aimons tou-oujours ! »ou quelque chose d’approchant.
L’un d’eux alors puisait dans la corbeille une « fouyasse » (délicieuse galette ronde), et la remettait à la jeune fille en l’embrassant. Et après lui, chaque conscrit à son tour y allait de son baiser. Mais c’était en présence de toute la famille. Il va de soi que la jeune fille, prévenue de cette visite avait préparé de quoi rafraîchir les plus assoiffés.
Aussi le soir, en général, quand les huit ou dix visites avaient été faites, la rentrée au village ne s’effectuait pas toujours en bon ordre. Le tambour ne marchait plus au pas du clairon, et le clairon laissait facilement choir quelques notes. Mais la formalité était remplie.
Extrait des Souvenirs d’Auguste Rama (1883-1973)
Collection famille Rama